Bruxelles l’européenne, Jérusalem nouvelle ou nouvelle Babel ?

« Gardez-vous des faux prophètes. Ils viennent à vous en vêtements de brebis mais, au-dedans, ce sont des loups ravisseurs. Vous les reconnaîtrez à leurs fruits. Cueille-t-on des raisins sur des épines ou des figues sur des chardons ? Tout bon arbre porte de bons fruits mais le mauvais arbre porte de mauvais fruits. Tout arbre qui ne porte pas de bons fruits est coupé et jeté au feu. C’est donc à leurs fruits que vous les reconnaîtrez » (Mt, 7, 15-20).

Jean-Luc Mélenchon, entrant à l’Assemblée nationale, s’est indigné d’y trouver le drapeau étoilé qui sert d’étendard à l’Union européenne. Parmi ses arguments, on a entendu une référence à la Vierge Marie. Si, historiquement, la volonté de reprendre la symbolique mariale dans le drapeau de l’UE est bien attestée, il faut à un moment dépasser les seuls symboles. Pour ma part, je pense que les chrétiens devraient s’interroger sur la nature profonde de l’Union européenne et sa place dans leur système de valeurs. Car beaucoup sont sincèrement persuadés que l’Union européenne est un projet non seulement compatible avec le christianisme mais, bien plus, d’inspiration voire de structure chrétiennes. Que les eurocrates aient refusé d’inscrire les « racines chrétiennes » de l’Europe dans leur projet de constitution n’empêche pas un grand nombre de croyants d’être persuadés qu’elles sont bien réelles. Et l’idée est d’autant plus facile à concevoir que l’un des « Pères fondateurs » est en cours de procès de béatification et que plusieurs symboles, à commencer par le drapeau donc, sont explicitement inspirés de l’iconographie chrétienne. Lire la suite « Bruxelles l’européenne, Jérusalem nouvelle ou nouvelle Babel ? »

Nos ancêtres les Gaulois

Vercingétorix_Alésia
Le Monument à Vercingétorix d’Aimé Millet (1865) à Alésia (Alise-Sainte-Reine) : ceci est-il un Gaulois ?

Les Gaulois reviennent régulièrement dans l’actualité politique, ces jours-ci par la Une grandiloquente de Valeurs actuelles, il y quelques semaines à l’occasion du discours du président Macron au Danemark, où il a cru bon d’insulter – à nouveau – les Français en les assimilant à une caricature grotesque de « Gaulois réfractaires au changement ».

Le Gaulois est ainsi une figure récurrente dans le débat public et ses apparitions se font presque toujours dans le cadre de controverses.

La plus fréquente est l’éternelle polémique sur l’expression « nos ancêtres les Gaulois », que les uns revendiquent et que les autres contestent. Malheureusement, ni les uns ni les autres ne se posent la bonne question. Car on se demande en général qui a le droit d’invoquer des ancêtres gaulois mais jamais qui sont ces fameux Gaulois dont on parle.

Il y a en effet plusieurs sortes de Gaulois. Lire la suite « Nos ancêtres les Gaulois »

Un autre regard sur l’immigration

Migrant Mother, par Dorothea Lange

L’immigration de masse est une question complexe avec de très nombreux aspects. Mais, contrairement au président Macron, je ne crois pas qu’il y ait des phénomènes ou des pensées trop complexes pour être évoqués, il y a seulement des hommes qui ne savent pas bien les exposer. L’immigration est un sujet clivant, développé presque toujours dans une optique partisane. Ses défenseurs comme ses détracteurs simplifient souvent trop les choses. À vrai, dire, ils parlent assez régulièrement à côté du sujet. D’abord, ils s’opposent sur le principe même de l’immigration, comme si le nombre de personnes concernées ne changeait rien aux conséquences du phénomène. Or, il est évident que cela n’a rien à voir d’accueillir un tout petit nombre de gens chaque année, un grand nombre de gens sur un temps court et limité ou un grand nombre de gens sur un temps très long. Et cela n’a rien à voir d’accueillir de jeunes travailleurs décidés à ne rester que quelques années avant de repartir, des minorités fuyant une persécution grave ou un vaste regroupement familial. La question n’est donc pas d’être pour ou contre l’immigration en soi mais d’examiner les différentes formes d’immigration et leurs conséquences.

Ensuite, au lieu d’aborder le fond, on invective ceux qui ne pensent pas comme soi. En particulier, quiconque remet en cause l’immigration de masse se voit aussitôt attribuer toutes sortes d’horribles défauts : racisme, xénophobie, peur de l’autre, repli sur soi, etc.

Et, presque toujours, on regarde les choses sous un angle culturel. La diversité est-elle profitable ? Le multiculturalisme est-il souhaitable ? Le vivre-ensemble est-il une utopie ou un objectif ?

Ces questions sont légitimes et j’aurai peut-être un jour l’occasion d’y réfléchir ici. Mais, aujourd’hui, il me semble utile de mettre en avant la facette que personne ne regarde jamais, celle du nombre et en particulier, les conséquences d’une arrivée massive de migrants pauvres sur l’économie et la société de la région qui les accueille.

On pourrait s’inspirer de bon nombre d’exemples dans l’histoire, à commencer par l’installation des pieds-noirs en France métropolitaine en 1962. Mais, dans ce dernier cas, le contexte politique très particulier, ultra conflictuel, vient s’ajouter au problème spécifique de l’arrivée d’une population nouvelle sur le territoire. Par ailleurs, la France de 1962 était un pays prospère, dont l’industrie et l’agriculture fonctionnaient à plein et dont l’État assumait son rôle d’investisseur de long terme.

Aujourd’hui, où la France connaît une crise économique majeure, il est plus intéressant de regarder ce qui s’est passé dans une autre économie en crise. Comme beaucoup, je vais donc me tourner vers les années 30, source inépuisable de comparaison, mais en portant les yeux outre-Atlantique. Car, je le crois, c’est des États-Unis de cette époque que peut nous venir la leçon la plus pertinente.

Il se trouve que, durant mes années de collège, j’ai eu la chance qu’on me fasse lire des livres passionnants. L’un d’eux fut Les Raisins de la colère de John Steinbeck. Cette description des ravages de la crise de 1929 aux États-Unis est un chef d’œuvre la littérature, un document poignant sur les épreuves traversées par ces pauvres gens et une occasion de réflexion sur plusieurs sujets.

En ce qui concerne l’immigration, deux choses sont particulièrement frappantes : la première, c’est l’attachement viscéral qu’expriment dans le livre les agriculteurs américains pour la terre où ils sont nés. Le monde entier a été bercé d’histoires de cow-boys et d’Indiens, de conquête de l’Ouest, d’immigrants arrivant à Ellis Island pour construire un nouveau monde… Et nous savons tous que le modèle économique américain amène un grand nombre de personnes à déménager souvent, parfois très loin. La mobilité des individus fait partie de l’identité américaine. Or, les paysans des Raisins de la colère, qui sont pourtant les petits-enfants des pionniers, réagissent avec beaucoup de douleur et de déchirement à leur départ forcé (ils sont ruinés par la crise et la sécheresse, leurs terres vendues à la banque auprès de laquelle elles étaient en hypothèque), comme s’ils étaient là depuis toujours. Il ne faut pas oublier cette faculté des hommes à chérir leur chez-eux, la rapidité avec laquelle un groupe s’approprie une terre. Cela est vrai chez ces Américains qui n’avaient que quelques décennies de présence sur le sol qu’ils habitaient, cela est encore plus vrai dans notre vieille Europe et dans notre cher et vieux pays, la France. Un très grand nombre de Français habitent le département où ils sont nés ou le département voisin. Ils y ont un vaste réseau d’amis d’enfance, de cousins proches et éloignés, d’alliés, de parents, de vagues connaissances et même d’ennemis. Partir de sa région d’origine n’est jamais anodin et le regret du pays natal a fait l’objet de tant de poèmes, de chansons, de romans et de films qu’on s’étonne que cette dimension soit aujourd’hui souvent oubliée par les élites qui nous vendent l’ultra-mobilité comme avenir riant.

Le second point frappant du roman concernant l’immigration est encore plus intéressant. Lorsque les fermiers ruinés partent de chez eux, ce n’est pas sans but, on leur a promis une vie meilleure ailleurs. Ils vont donc en Californie, territoire encore prospère où les exploitations agricoles ont besoin de main d’œuvre. Et ils sont très nombreux à le faire. Nous avons donc ici la description d’une immigration massive au sein d’un même pays d’une population culturellement quasi identique à celle de l’endroit où elle s’installe. Les paysans ruinés de l’Oklahoma sont des citoyens américains au même titre que les Californiens. Il n’y a pas de grande différence linguistique, culturelle, religieuse ou raciale les opposant. C’est une situation rare, en particulier aux États-Unis où les conflits liés au multiculturalisme sont fréquents (et d’ailleurs sans lien avec l’immigration).

Or, cette arrivée de nombreuses personnes désespérées et très pauvres a des conséquences immédiates. Les gros fermiers californiens les surexploitent comme main d’œuvre à très bas coût et les utilisent pour casser les grèves. Les plus petits fermiers n’arrivent pas à tenir face à cette concurrence déloyale. Les structures de solidarité traditionnelles se délitent, à commencer par la famille : celle des protagonistes subit plusieurs départs car certains de ses membres préfèrent tenter leur chance seuls. Au sein de la famille même, les équilibres sont bouleversés. C’est la mère qui devient le véritable chef, le pilier qui maintient le groupe, tandis que son mari, autrefois véritable patriarche, est dépassé par les événements.

Le seul endroit où il leur est possible de reprendre pied est le camp créé et géré par l’État fédéral (dans le cadre de la politique du New Deal de Roosevelt) tandis que les politiciens locaux ont eux un rôle particulièrement néfaste.

Bien qu’il s’agisse d’une fiction, les situations décrites sont réelles, inspirées de témoignages recueillis auprès des migrants. On y constate qu’une grave crise économique provoquant une migration de masse entraîne des bouleversements importants et amène les individus à vivre dans des conditions totalement indignes. Tout est déséquilibré par cette arrivée massive de familles misérables et démunies : la concurrence entre entreprises qui s’exacerbe et devient déloyale, les valeurs morales qui s’effacent devant la nécessité de survivre pour les uns et l’occasion facile d’exploiter la misère pour les autres, la politique locale qui se corrompt comme jamais. Et le seul moyen de contrer ces dérives est l’intervention de l’État, alors même qu’il s’agit des États-Unis, ce pays où l’État, en particulier l’État fédéral, est considéré comme un mal nécessaire dont le pouvoir doit être réduit autant que possible.

On constate à travers ce cas historique mis en lumière par la littérature et le cinéma les effets désastreux d’une immigration de masse sur une économie déjà en crise. Les droits sociaux et les salaires sont les premiers atteints mais, lorsque la crise dure, tout ce qui constitue une société est menacé. Pour les nouveaux arrivants comme pour les locaux, la situation se révèle ingérable et inhumaine.

Et pourtant, il n’y a ici aucune place pour le racisme, la xénophobie ou la peur de l’autre. Au sein d’un même peuple, entre gens qui partagent la même culture, une migration massive couplée à une grave crise économique provoque de fortes tensions et des drames épouvantables.

Mais dans la France actuelle, les immigrés ne sont pas de la culture du pays où ils arrivent. Nous connaissons donc une difficulté supplémentaire par rapport à la Californie des années 30 – et elle est de taille. Aux problèmes économiques et sociaux, nous ajoutons le problème de la gestion d’une société multiculturelle, alors que ce n’est pas du tout conforme à la tradition politique française et à l’identité historique de la France, pays de l’assimilation républicaine où chacun peut devenir Français mais où différentes communautés ne peuvent pas cohabiter car la République est une et indivisible.

Et nous connaissons une troisième difficulté : notre État est en train de s’affaiblir dans le cadre d’une intégration européenne toujours plus poussée. Nous avons délégué à l’Union européenne la plupart des leviers nous permettant d’agir sur notre économie, nos frontières, nos lois. Nous n’avons plus les outils nécessaires pour réagir et relancer notre industrie. Nous ne contrôlons plus les entrées et sorties des biens et des personnes sur notre sol. Notre modèle politique et social est remis en cause. Il devient alors quasi impossible de mener une politique migratoire intelligente respectant l’équilibre de notre société.

Partant de là, on se rend compte à quel point l’immigration que connaît depuis plusieurs décennies la France ne peut continuer. Le pays est en crise profonde et l’État a besoin d’y retrouver son rôle pour imposer des solutions et des lois qui rétablissent la justice sociale. M. Macron a manifestement l’intention de faire l’inverse et de laisser toujours plus d’autonomie aux acteurs économiques, ce qui ne pourra conduire qu’à davantage d’inégalités, tout en conduisant toujours plus loin le processus européen, ce qui nous laissera encore plus démunis. Par ailleurs, l’État doit aussi s’imposer contre le communautarisme que fait naître le multiculturalisme. Bref, il nous faut un État fort avec une vision à long terme et non une technocratie boulimique et hypertrophiée gérant – fort mal – la province France au nom de l’Union européenne.

Après des années de laisser-faire désastreux, les États-Unis ont su dans les années 30 prendre une autre voie que celle dont ils avaient l’habitude. L’État fédéral a cessé d’être passif et il a tenté d’apporter des solutions. Chez nous, l’intervention de l’État est théoriquement beaucoup plus facilement acceptable. Mais il faut qu’il retrouve une volonté et qu’il reprenne les moyens dont la maîtrise a été confiée à l’Union européenne. C’est la condition indispensable pour que la France puisse mener sa propre politique migratoire et trouver des solutions durables et constructives aux différents types de difficultés liés à l’immigration massive subie depuis trop longtemps sans qu’on réfléchisse à ses conséquences.